Révolution Française

Louise Tanguay-Ricker
Novembre 2010


« Mieux connaître son passé pour mieux comprendre son présent. »
Jacques Lacoursière
Historien

J’ai récemment vécu une expérience qui me porte encore une fois à réfléchir sur mon identité, en tant que Québécoise, et Franco-américaine. Il me semblait que j’avais enfin trouvé toutes les réponses à mes questions. Et voilà que les paroles d’une seule personne me relancent un défi, ébranlent ma fierté, et me poussent vers ce précipice qu’est celui du doute. Je rejoins donc l’état d’esprit de plusieurs de mes frères et sœurs; ceux qui parlent ce canadien français, souvent perçu comme langue inférieure par certains Français des environs de Paris. Il me reste à prouver que cette idée d’un français pur est tout simplement une aberration, une fausse affirmation, et j’ose dire, une sorte de discrimination qui remonte jusqu’à la Révolution Française.
***

Témoins de nombreuses batailles entre la France et l’Angleterre depuis leur arrivée au

Canada vers la fin du 16
ème siècle, les colons Français qu’on appelait « les habitants », ne voulaient

qu’une chose; vivre en paix et en harmonie. Les Canadiens Français étaient reconnus pour leur

bonne humeur, et avaient comme réputation d’être extrêmement accueillants. Leur facilité à

s’adapter à différentes circonstances avait été influencée par leurs interactions avec les Amérindiens

et les changements de mode de vie.
1 Par contre, leur histoire est celle d’un peuple déterminé à

sauvegarder sa langue maternelle; ce qui engendra d’inévitables confrontations avec le

gouvernement Britannique pendant plus de 300 ans.


L’intervention du Clergé, qui craignait l’influence de l’église protestante, fut que l’ensemble
du Canada accepta éventuellement de reconnaître le Québec comme société distinguée, avec le français comme langue première :
« Les Franciscains récollets, les Jésuites, les Pères de Saint-Sulpice, les Ursulines, les Hospitalières de Saint-Joseph et les Augustins ont fondé des écoles françaises, construit des hôpitaux et ouvert des séminaires.»2 Un collège classique fut même fondé au Québec en 1637 par le Clergé, un an après l’ouverture de l’Université de Harvard à Boston.
Lorsqu’ils discutaient du français parlé au Canada, les historiens parisiens, grammairiens, ainsi que les membres du conseil souverain, étaient tous d’avis que les Canadiens Français parlaient parfaitement bien, et sans accent. Jean-Denis Gendron, Professeur retraité de l’Université de Laval, explique qu’il y eut un grand changement d’attitude après la Révolution Française:
«…la langue parlée à Paris et au Canada Français, qui était la même au début de la colonisation, a évolué dans deux directions différentes. En fait, c’est surtout à partir de la Révolution que la langue parlée à Paris aurait prit un élan démesuré, laissant le français parlé au Canada dans l’oubli. Du coup, le français parlé au Canada était devenu inadéquat. Après quelques décennies seulement, on le disait ingrat, inapproprié et campagnard, alors que c’était la même langue qui était parlée par les Parisiens quelques années avant. »3
Voici quelques exemples donnés par Professeur Jean-Denis Gendron, du genre de commentaire qu’on retrouvait avant et après la Révolution Française:
Avant la Révolution
1651 – Simon Denys, membre du Conseil souverain
Les moeurs sont polies, la langue française y est parlée avec élégance.

1749 – Pehr Kalm, naturaliste suédois
Tous, ici, tiennent pour assuré que les gens du commun parlent ordinairement au Canada un français plus pur qu’en n’importe quelle province de France et qu’ils peuvent même, à coup sûr, rivaliser avec Paris. Ce sont les Français nés à Paris, eux-mêmes, qui ont été obligés de le reconnaitre.

Après la Révolution
1829 – Théodore Pavie, écrivain français
Ils parlent un vieux français peu élégant; leur prononciation épaisse dénuée d’accentuation [c'est-à-dire de variation tonale] ne ressemble pas mal à celle des Bas-Normands.
1884 – A.-M. Elliot, linguiste américain
Il y a dans le parler canadien une monotonie tranquille qui frappe immédiatement le visiteur comme l’un de ses traits principaux. Il n’a pas le rythme, l’inépuisable variété et la cadence riche de la langue gauloise telle qu’elle est parlée dans la France d’aujourd’hui.

Et malheureusement, cette opinion envers le français parlé en Amérique du Nord, soit au Canada ou en Nouvelle Angleterre, persiste encore parmi certains Français qui considèrent leur prononciation plus pure et raffinée. Il y a des mouvements au Québec qui combattent cette attitude et critiquent eux-mêmes le déclin de la langue parlée en France, à cause des multiples anglicismes qu’elle a adaptés (et continue d’adapter.) Ils déclarent que les Parisiens parlent un genre de franglais, dans lequel on retrouve de nombreux anglicismes comme par exemple “
weekend ”, “faire du shopping ”, “interviewer ”, mettre son “pull ”, et cetera.
Quand on constate le nombre d’œuvres publiées au Québec sur la langue française et son histoire, on se rend compte que les Canadiens Français sont fiers de leur langue et ont appris à l’apprécier, malgré les critiques qu’elle a subit à travers les siècles. Alors quand ils se retrouvent dans une situation où un Français (ou soit disant Français) déclare leur dialecte « inférieur », c’est tout à fait compréhensible que certains d’entre eux se sentent insultés. Ils ont tellement eu à défendre et protéger leur langue à travers les siècles, qu’ils ne veulent plus accepter qu’on la critique.
Dans son récit intitulé
Mannomanie, Grégoire Chabot reproche l’attitude des Franco-américains envers leur langue, parce que d’après lui, ils ne se sentent pas assez intelligents pour faire ce qu’il faut pour la défendre et la conserver. Ils n’ont pas l’habitude de se prendre en main et préfèrent attendre que les Français ou les Québécois viennent « sauver la face » du français en Nouvelle Angleterre. Chabot remarque que quand un représentant officiel du gouvernement de la France ou du Québec vient à une de leur réunion, les Franco-américains sont en révérence devant eux : « Cette façon de penser aide à expliquer un peu notre réaction extrême quand nous rencontrons un représentant officiel du gouvernement de la France ou du Québec à une de nos réunions. Ce sont à eux qu'on donne la parole d'honneur, les places d'honneur, les rôles d'honneur. »4 Un fait qui n’est peut-être pas évident pour lui, c’est que les Québécois ont souvent eu cette même réaction face aux visiteurs Français. Mais ils ont appris à s’affirmer avec les années. Et il faut noter un autre fait important que Grégoire Chabot ne mentionne pas dans son texte : Le Québécois « moyen » ne parle pas un français aussi « distingué » qu’un représentant du gouvernement qui visite le Maine pour discuter de la langue française. Et je suis convaincue que beaucoup de ces représentants « jouent le jeu » et parlent ce « beau » français en public, mais pas nécessairement quand ils sont en famille et avec leurs amis. Leur dialecte quotidien, j’en suis certaine, se rapproche peut-être beaucoup plus qu’on pense de celui des Franco-américains.
Ce qui me tracasse personnellement, c’est l’ignorance dont font preuve ceux qui catégorisent le français parlé en Amérique du Nord, sans vraiment comprendre l’importance de considérer l’héritage attaché à cette langue et par conséquence, sa grande richesse. Les Franco-américains ont été victimes de grande discrimination à travers les années. Ils étaient une minorité qui était considérée inférieure dans plusieurs aspects. À force de se le faire dire, ils ont fini par le croire. Les Canadiens Français étaient minoritaires dans leur pays aussi. Ils ont eu aussi subi beaucoup de discrimination. Heureusement pour eux, le clergé a joué un grand rôle dans la survie de la langue française au Québec. Mais en Nouvelle Angleterre, le clergé comptait un grand nombre de catholiques Irlandais. Éventuellement, les messes ne se disaient plus en Français et les Franco-américains avaient de moins en moins de ressources pour arriver à maintenir leur langue. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un grand nombre de Franco-américains qui ne s’intéresse plus à parler français aujourd’hui. Au contraire! Le film de Ben Lévine
« Réveil » nous fait découvrir qu’il y a encore des communautés dans le Maine où le français tient une grande importance.
Quoiqu’il advienne, je pense qu’il est grand temps qu’on reconnaisse qu’il n’y a pas qu’un seul parlé français qui est « correct » et qu’on doit enseigner dans les écoles. Chaque peuple a son histoire et un héritage qui ont contribué à son dialecte. Le français parlé en France a évolué de son côté, tout comme le français parlé en Afrique, en Haïti et au Québec. Chacun a sa valeur. Nul n’est mieux que l’autre. Ce qui est fascinant du français parlé en Nouvelle Angleterre est qu’il n’a pratiquement pas subi de changement à travers les années. Si on veut parler de langue originale, ce français est plus proche, donc plus pur (si on veut parler de pureté) que n’importe quelle autre langue française parlée sur terre. Mais avec ce genre de commentaire, on entre dans un territoire dangereux. Parce que si on continue de remonter dans l’histoire, les Gaulois auraient peut-être une autre opinion de ce français! Alors cessons de juger et apprécions nos différences, ainsi que la richesse de la langue française à travers le monde.


1 Documentaire: Épopée En Amérique – Une Histoire Populaire Du Québec (Gilles Carle, Réalisateur, 1997)
2 Conférence Des Évêques Catholiques Du Canada : “L'Église catholique au Canada”, (http://www.cccb.ca)
3D'où vient l'accent des Québécois? Et celui des Parisiens?, (Presse de l’Université Laval, Novembre 2007)
4Grégoire Chabot, Entre La Manie Et La Phobie, Essays (Copyright, 2000)